Rapport sur les solutions hydroalcooliques

L’Ordre des chimistes du Québec (OCQ) dévoile son rapport sur la production de solutions hydroalcooliques en contexte de crise sanitaire. Dans l’intérêt supérieur de la protection du public, l’Ordre recommande fermement de renforcer les politiques d’approvisionnement du ministère de la Santé et des Services sociaux en matière de solutions hydroalcooliques (SHA). De plus, il souligne la nécessité qu’un chimiste supervise ou encadre toute activité de production de tels produits au sein des entreprises canadiennes se prêtant à l’exercice. Enfin, plus que jamais, l’Ordre réitère l’urgence de moderniser la Loi sur les chimistes professionnels.

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Mise en contexte

Le gouvernement du Québec déclare l’état d’urgence sanitaire le 13 mars 2020, estimant pandémie de COVID-19 annoncée par l’Organisation mondiale de la santé est une menace réelle grave à la santé de la population. Cette déclaration permet notamment à ce dernier d’ordonner toute mesure qu’il juge appropriée afin de protéger la population.

Rapidement, le gouvernement s’adresses à la population afin de recommander ou, carrément, imposer le respect de mesures sanitaires strictes pouvant limiter et/ou réduire les risques de propagation de ce virus. Le lavage des mains ou, à défaut, l’utilisation de solutions hydroalcooliques, est d’abord recommandé, puis imposé à l’entrée de plusieurs résidences et commerces, ce qui provoque rapidement une pénurie de ces produits au début du printemps 2020.

Ces mesures amènent immédiatement une hausse de la demande pour les SHA et, sans grande surprise, des problèmes d’approvisionnement afin de satisfaire la forte demande. À ce moment, la pénurie de SHA est telle que le public se tourne en désespoir de cause vers des produits inadéquats à base d’acétone (tels que le dissolvant pour vernis à ongles) ou de peroxyde d’hydrogène vendus notamment en pharmacie, croyant à tort que ceux-ci ont des propriétés désinfectantes. Cela amène l’OCQ et l’Association des microbiologistes du Québec à publier un communiqué conjoint le 19 mars 20201 afin de mettre en garde la population quant aux risques d’une utilisation inappropriée de ces produits.

La diffusion du reportage « Les mains sales » de JE sur les ondes du réseau TVA le 1er octobre 2020 a mis en lumière plusieurs problématiques en lien avec les autorisations de fabrication et de mise en marché de SAH, dont le fait que Santé Canada délivre des licences d’exploitation pour la production sans s’assurer que les personnes qui en font la demande ont le droit d’exercer la chimie au Québec. Certains individus transportent et entreposent des substances chimiques sans connaître leurs propriétés, ce qui met la population à risque quand les précautions de base ne sont pas respectées. De plus, certaines des solutions analysées par l’équipe journalistique n’ont pas la concentration requise pour être désinfectantes. Ces produits ont par la suite été vendus à des clientèles variées incluant des écoles, des résidences pour personnes âgées/centres d’hébergement de longue durée (CHSLD), des restaurants, des chantiers de construction et des entreprises privées. La situation est jugée extrêmement préoccupante par l’OCQ, notamment en raison de l’hécatombe de COVID-19 dans les résidences pour personnes âgées/CHSLD. Le contrôle de la qualité des SHA par des professionnels doit être une priorité afin d’assurer la protection du public, plus particulièrement les personnes vulnérables aux infections.

Au-delà des risques à la santé des utilisateurs, le reportage diffusé par l’émission JE jette par ailleurs un constat troublant à l’égard de certains sites de production artisanale de SHA. Certains lieux montrés dans le reportage sont, en plus d’être supervisés par des personnes ne détenant pas les compétences requises, totalement inappropriés pour la réalisation d’une telle activité, comme en font foi les images de la production de SHA en plein milieu d’un marché aux puces sur la Rive-Sud de Montréal. La vue de quantités importantes d’éthanol concentrée entreposée sans aucun respect des normes scientifiques généralement reconnues en matière d’entreposage des matières dangereuses donne des frayeurs à quiconque connaît la nature volatile et hautement inflammable de cette substance et fait réfléchir quant aux risques probables et prévisibles d’un incendie dévastateur potentiellement meurtrier qui aurait pu survenir. Encore plus troublant, l’OCQ n’a aucune garantie que cette pratique artisanale dangereuse a cessé et qu’elle n’a pas cours dans d’autres lieux fréquentés par la population, qui est ainsi exposée sans le savoir à un risque potentiellement mortel.

Préoccupations

Les préoccupations de l’OCQ en lien avec la production et la mise en marché de SHA sont nombreuses. En effet, les risques de contamination et le faux sentiment de sécurité qui peuvent résulter de l’utilisation de produits ne respectant pas les paramètres scientifiques minimaux pour désinfecter en font partie. De plus, l’utilisation de substances chimiques ou de processus inadéquats au moment de la production des solutions hydroalcooliques représente des risques pour la santé et le bien-être des utilisateurs, inconvénients qui peuvent varier d’une irritation de la peau à des conséquences plus graves. Par ailleurs, les risques d’incidents dans le processus de production, de transport ou d’entreposage de ces solutions hydroalcooliques sont réels, que l’on pense aux incendies ou explosions possibles en cas de mauvaise manipulation ou de mauvais entreposage d’alcool concentré hautement inflammable. L’OCQ considère que de tels risques ne peuvent être pris à la légère et qu’il est de son devoir de se questionner sur les pratiques en telle matière et sur la façon dont il peut intervenir efficacement pour assurer la protection du public.

Constats

Dans l’intérêt supérieur de la protection du public, l’OCQ a analysé l’encadrement de la production de SHA et a tiré les constats suivants :

  1. Santé Canada délivre des licences d’exploitation pour la production de solutions hydroalcooliques sans s’assurer que les personnes qui en font la demande ont le droit d’exercer la chimie au Québec ;
  2. Le fait que Santé Canada ne s’assure pas que des chimistes soient impliqué dans la production de solutions hydroalcooliques compromet sérieusement la protection du public ;
  3. La production artisanale de solutions hydroalcooliques peut amener certaines personnes à manipuler, transporter et entreposer des substances chimiques sans connaître leurs propriétés et, par conséquent, sans prendre les mesures nécessaires pour assurer leur conservation dans des conditions sécuritaires ;
  4. Certaines des solutions hydroalcooliques analysées n’ont pas la concentration d’alcool requise pour avoir des propriétés désinfectantes et peuvent par ailleurs être nocives ;
  5. Les politiques d’approvisionnement du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec doivent être renforcées ;
  6. Désuétude de la Loi sur les chimistes professionnels et nécessité d’une modernisation imminente.

Conclusions

À la suite d’une réflexion sur la production et la mise en marché des SHA, l’OCQ a identifié plusieurs problématiques
nécessitant son intervention.

La nécessité de renforcer les politiques d’approvisionnement du ministère de la Santé et des Services sociaux est l’une des premières conclusions à laquelle l’OCQ est arrivée, le tout, afin que les personnes qui fournissent au gouvernement de la SHA soient des chimistes, aient un chimiste à leur emploi ou démontrent qu’un chimiste supervise et/ou encadre les activités de l’entreprise en lien avec la production de telles solutions.

La réflexion de l’OCQ dans le cadre de la production et de la mise en marché de solutions hydroalcooliques a également été l’occasion pour l’ordre professionnel de s’apercevoir une fois de plus des limites de la Loi sur les chimistes professionnels et de la nécessité de persister dans ses efforts afin de convaincre le gouvernement de la nécessité de la moderniser dans les meilleurs délais.

L’OCQ juge qu’il est nécessaire de moderniser la Loi sur les chimistes professionnels afin de mieux circonscrire les activités réservées aux chimistes et ainsi assurer une meilleure protection du public. L’OCQ est d’avis que l’encadrement désuet offert par la Loi sur les chimistes professionnels quant à l’exercice de la chimie en général démontre la nécessité pour les membres de l’OCQ d’être impliqués à toutes les étapes des activités de manipulation, transport, entreposage et conservation de matières dangereuses à haut risque de préjudice, incluant notamment la production, le transport et l’entreposage de SHA. À ce sujet, il est important de noter que l’analyse de l’OCQ en ce qui a trait aux changements qui doivent être apportés à sa loi est très avancée. L’OCQ n’attend que le feu vert du gouvernement pour enclencher le processus de modification législative. Fort de nombreux appuis au sein du gouvernement, de l’opposition et de plusieurs regroupements de pompiers, l’OCQ estime en effet nécessaire qu’une modernisation imminente de sa loi soit enclenchée et menée à terme. Il se déclare prêt à entamer les travaux nécessaires dès cet automne.

Une inertie serait un recul et nous espérons que l’Office des professions du Québec saura prioriser sans autres délais la modernisation de la Loi sur les chimistes professionnels en s’appuyant sur le travail déjà accompli, afin que l’Assemblée nationale soit en mesure de s’y pencher avant les prochaines élections provinciales à l’automne 2022. Il en va de l’intérêt de la protection du public qui pâtit année après année d’un encadrement désuet de l’exercice de la chimie, omniprésente dans la vie des Québécois.

Recommandations

  1. Que Santé Canada prenne les mesures nécessaires afin de s’assurer qu’une personne ou une entreprise qui demande l’émission d’une licence d’exploitation pour la production de solutions hydroalcooliques soit chimiste, ait un chimiste à son emploi ou démontre qu’un chimiste supervise et/ou encadre les activités de l’entreprise en lien avec la production de solutions hydroalcooliques.
  2. Que le gouvernement du Québec fasse de la modernisation de la Loi sur les chimistes professionnels une priorité afin, notamment, d’ajouter l’encadrement et/ou la supervision de la manipulation, du transport, de l’entreposage et de la conservation des substances chimiques comme activités réservées aux chimistes.
  3. Que le gouvernement du Québec et/ou le ministère de la Santé et des Services sociaux prenne les mesures nécessaires afin de s’assurer qu’une personne ou une entreprise qui fournit au gouvernement de la solution hydroalcoolique soit un chimiste, ait un chimiste à son emploi ou démontre qu’un chimiste supervise ou encadre les activités de l’entreprise en lien avec la production de solutions hydroalcooliques.